Texte critique 1 : Projet Spermwhaler's dream
L’imaginaire de Vincent Chevillon, empreint d’éloignement et de mise à distance de soi, est né d’un songe irrationnel et maritime. Avec des gestes de sculpteur, il semble répondre aux vœux de Fernando Pessoa, "en quête rien que de partir", et à l’injonction de Malcom Lowry : "Désertez !... Voyagez au rivage supérieur". Cette quête, traduite par sa volonté de sonder l’espace, il la mène, seul, mais avec le dessein de nous perdre, en nous guidant vers les écueils de l’entendement et des confins marins. Grâce à la série des Sondes, qu’il sous-intitule : spermwhaler’s dream [le rêve du pêcheur de cachalot] c’est tout un univers de signes énigmatiques qui s’affirme à nos yeux, et qui sourd des œuvres de Melville, Verne et Conrad.
Dans le jardin, il crée Sonde 4 (phare avant-poste), une sculpture-objet, de bois, de béton et d’acier, qui, verticale, ponctue l’espace et guide nos regards vers le chenal possible qu’il pressent, ou qu’il a déjà parcouru. Nous précède-t-il? Nous suit-il? Il nous éloigne, pour le moins, inéluctablement, des amers terrestres, afin "que je voie l’abîme s’ouvrir entre moi et la côte" - eût dit Pessoa. Ici dans ce passage, non loin du ponton de bois, il nous abandonne avant la haute mer, auprès de ce feu de fortune qu’il allume à notre intention. C’est une "torche norvégienne" : un procédé de survie nordique, tel que le conçoivent, pour alerter et subsister, les rescapés isolés. On imagine, alors, qu’il ait consumé cette pièce de bois sauvegardée, après avoir abattu le seul arbre de l’île, ramassé le tronc rejeté sur la grève, ou débité le tronçon du dernier mât serti dans l’acier. La lueur et la chaleur ultimes de cette sculpture en devenir : c’est le réconfort qu’il nous offre, dans un rituel qui nous rapproche - celui d’après le naufrage - laissant une œuvre créée par le feu et son souffle, un signal final, noirci, dans les nuits de l’été qui s’avancent.
Fabrice Vannier, texte écrit à l'occasion du jardin éphémère 2011