Une grande caisse sombre, des étagères et beaucoup d’objets. Des objets semblant n’avoir rien d’extraordinaire, mais qui prennent une dimension toute particulière dès lors qu’on s’en approche.
Vincent Chevillon est un jeune artiste français qui lie, dans sa pratique, les sciences naturelles et les sciences humaines.
Dans l’œuvre Métamorphose (Scrimshaws), présentée au centre d’art Khiasma le mois dernier, il assemblait des fétiches déguisés, des trophées maquillés, des cartes dessinées et dénonçait une critique des cabinets de curiosités qui permettaient aux colonisateurs, d’exposer le butin de leurs excursions.
Scrimshaw, était le nom donné aux petits objets sculptés dans l’ivoire, dans les os et parfois dans la peau tannée d’animaux marins. Fabriqués par les pêcheurs, ceux-ci étaient revendus aux collectionneurs.
Trace d’un voyage, butin d’une conquête .
Travaillant sur l’errance, le voyage, les identités et la nature, à travers une mythologie marquée par les découvertes du XIXème siècle, l’artiste mêle passé, présent et futur. Il réinvente la collection et crée des liens, des passerelles entre des projets toujours nouveaux. Il modèle son œuvre comme un explorateur, un inventeur qui jouit de ce qu’il trouve pour créer des chimères à la croisée du réel et de l’imaginaire. Il mélange les horizons, s’inspire de la grande Histoire pour en créer de plus petites et questionne l’Homme.
Vincent expérimente l’objet. Un objet qu’il trouve. Un objet cernable et définissable. Cet objet deviendra œuvre mouvante en constante
mutation. Sans cesse retravaillées, ce sont les images de ces formes hybrides et éphémères que l’artiste collectionne. Ces objets sont des histoires de l’Histoire qu’il utilise pour forger son propre univers.
Un univers foisonnant où les mythologies, les rites et le sacré croisent le quotidien. L’exposition SEMES doit son nom au verbe « semer » conjugué à la deuxième personne du singulier. Vincent collectionne les graines, des graines à part et pourtant omniprésentes, des graines qui sont toutes immigrées, arrivées sur des terres qui n’étaient pas les leurs, tombées d’une poche, emportées par le vent, déposées par la mer. SEMES c’est la remarque de l’artiste qui bouscule volontairement les choses et fait remarquer que, nous tous, influençons l’endroit où nous passons, plantant dans la terre que nous foulons, une petite partie de nous. D’une aile de papillon qui s’agitait avant d’être mise dans la caisse sous verre d’un collectionneur, au masque africain remodelé à la Commedia Del Arte en passant par les balises architecturées qui continuent d’indiquer une position bien précise, l’œuvre de Vincent Chevillon offre un archipel poétique hors du temps.
Profitant des nouvelles technologies, il punaise sur internet, sur un site (archipels.org), un monde imagé, bibliothèque virtuelle de recherches réelles. La réflexion sur l’objet guide toute sa pratique et pose les échelons d’un monde où l’accumulation matérielle (et maintenant immatérielle) fait foi de notre propre valeur, traçant, ancrant ce que nous sommes dans l’histoire à venir.
L’espace Khiasma l’accueille pour son exposition personnelle SEMES. Sous le commissariat d’Olivier Marboeuf, elle réunira les pièces phares de ces cinq dernières années. Le projet SEMES fait partie d’un projet sélectionné et soutenu par le comité de la Fondation nationale des Arts
graphiques et plastiques (FNAGP) à Paris et de la DRAC (Alsace).


Sandra Barré

Sandra Barré (critique d'art),
Artaïs N°12,
2016