Texte critique : Projet Scrimshaws
La résidence de Vincent Chevillon fait suite à une période de plusieurs mois en mer, à bord du Sea4C, un catamaran l’ayant mené de la mer Méditerranée aux Antilles en passant par les Canaries et les îles du cap vert, et avant retour sur les côtes françaises.
Loin d’être anecdotique, ce long périple se définit davantage comme le moteur, la source et la méthode de travail d’un artiste pour qui le déplacement, l’itinérance et le voyage renvoient comme en miroir à l’histoire centenaire des expéditions maritimes. Celles-ci ont façonné un monde tissé par les échanges culturels, économiques, politiques ou religieux, non sans heurts et luttes d’influence, allant parfois jusqu’à l’effacement définitif de certains mondes.
Plus que l’itinérance, c’est la dérive qui caractérise le mieux le travail et le système de pensée de Vincent Chevillon : le site internet qui condense son travail et ses recherche en cours (archipels.org) exemplifie cette forme de navigation complexe et cette « dérive organisée ». Les atlas d’images, de données, de références littéraires obéissent à un système de classification nébuleux, dont l’objectivité apparente produit une subjectivité hybride et labyrinthique. Dans ce jeu de domino aux combinatoires infinies, tout est connecté à tout, jusqu’à créer parfois des monstres hybrides et inquiétants.
Polyphoniques, les œuvres de Vincent Chevillon puisent à de multiples sources : des récits de voyages mythiques (Melville, Cook, Conrad…) aux récits mythologiques narrés par Ovide dans Les métamorphoses, il s’agit d’assumer pleinement une forme de syncrétisme historique et culturel auquel le monde contemporain n’échappe pas.
L’ouverture d’atelier de Vincent Chevillon est l’occasion de pénétrer de plain-pied dans un espace qui, au terme de deux mois et demi de résidence, renvoie tout autant à l’univers du laborantin, de l’entomologiste, de l’archéologue que du sculpteur, mais pourquoi pas également l’antre du navigateur ou du conteur, hanté par quelques fantômes persistants : comment négocier avec la tentation de l’exotisme, du lointain, quand c’est aussi ce qui constitue le lieu où l’on a vécu dans le lointain de sa propre biographie ? Comment négocier avec le fantasme d’un ailleurs, les désirs inassouvis d’un imaginaire qui renvoie pourtant à un espace bien réel, en l’occurrence l’île de la Réunion où l’artiste a passé son enfance, une île intimement si proche, et irrémédiablement opaque.
Marie Cozette