Texte critique

Quelque chose de la gravité fait centre dans la jeune et pourtant étrangement mûre démarche de Vincent Chevillon. Tant du côté d’une tonalité grave dans le rapport au monde, avec un imaginaire empreint de figures et d’images anciennes, de mythes et de personnages d’une consistance littéraire. Que du côté physique, d’une gravité qui organise la matière et éprouve les corps, les corps vivants et les matériaux des constructeurs de machine, d’instruments aux finalités incertaines ; du côté du lourd, du dense, terre, bois, trouvé ou taillé, fer. Une gravité de choses tombées, ou qui menacent de le faire, au bord, en suspend, de choses en équilibre, en balancement, ou de choses qui défendent leur verticalité, intimement associées à leur support – socles, sellettes, sièges – ou encore qui, au contraire, parent au manque de soutien – posées, calées, s’étayant d’elles-mêmes. Le corps du travail relève de la sculpture sans doute, mais l’unité des travaux n’a rien de formel, sauf peutêtre cette attention pour des matériaux simples – comme ceux du charpentier de marine, bois taillé, corde, clou – et souvent pauvres ou un peu surannés. On y croise tout autant des objets élaborés que des figures humaines et animales – souvent les deux à la fois.

Pourtant, même si affleure une force d’angoisse ontologique, Chevillon se tient loin du pathos. Ses collections d’images photographiques, produites ou trouvées, portent l’indice du passé – le noir et blanc, le support verre – et tout autant la consistance d’une mémoire distante. Mais le propos tient dans son actualité d’expérience. Au sens actif de l’expérience de laboratoire, volontaire et active. Il y a de l’expérimentateur scientifique chez Chevillon, que sa formation, avant celle qui lui a valu un diplôme des beaux-arts, lui a rendu familier.
C’est bien plus cette cohérence de position, d’attitude, qui fait le lien entre ses pratiques, à côté de celle de la sculpture. Une distance qui associe désir d’entreprendre, de comprendre, de calculer, de construire des hypothèses sans présager du résultat. Lecture, méthode, mise en relation (comme on la fait entre deux images à l’analogie sourde), en connexion, en écho, projection et schématisation, de situations trouvées dans le monde social, de phénomènes de nature, de sensations : la démarche est celle de l’explorateur, comme on pouvait l’être encore au XIXe siècle, dans la découverte scientifique ou de terres inconnues. L’appétit nietzschéen se plie à la matérialité des choses, et débouche tout près du grotesque, du carnaval. Un rire noir et volontaire, qui marque de son empreinte formes et idées, est un puissant moteur, libérateur.

Chaque pièce, objet, ou recueil, répond ainsi à un programme qui se dépasse, va ailleurs, tout en gardant la consistance de chose construite, façonnée, avec une attention artisane. Chevillon note justement qu’il en va souvent de « la cristallisation d’une pensée par une somme d’expériences hétérogènes et hétéromorphes, sous forme de documents, sans recours à l’écriture ». Mais non sans une sorte de texte au langage direct, concret, dense, qui reste toujours à écrire.


Christophe Domino, Texte publié dans le catalogue du 56° Salon de Montrouge, Mai 2011

Christophe Domino (Critique d'art),
Texte publié dans le catalogue du 56° Salon de Montrouge, Mai 2011